Journal de confinement (un de plus)

Source : Wikipédia
Alors ? Ça va vous ?

« I am tired of being a part of a major historical event »

Cette phrase résume assez bien l'époque que nous traversons et les péripéties que nous expérimentons. Inutile de refaire le film dans le détail, on ne le connaît que trop bien : en fin d'année dernière un virus fait son apparition dans une province reculée en Chine, il tue des gens, on l'ignore quelques temps, il arrive en France, « c'est juste une grippe », « allez voter », « nous sommes en guerre », « restez chez vous ». Je ne blâme personne, moi aussi je m'en suis foutu pendant longtemps (mais moi au moins je suis pas président) (allez, prends ça Macron).

Ainsi nous voilà tous contraints à un confinement généralisé, la moitié de la planète étant désormais soumis à ce régime. Comme on est en plein dedans on accepte tant bien que mal la situation mais si on prend un peu de recul (ce qui est assez compliqué en ce moment) on se rend compte que ça n'a aucun sens.

D'où cet article, à prendre autant comme un témoignage de première main à l'attention des historiens du futur que comme une manière de ventiler tout ce que je ressens et qui aurait occupé mes pauses à la machine à café en temps normal. Mais comme y'a plus de pause à la machine à café, je suis obligé de compenser. Bienvenue donc dans cette salle de pause virtuelle, ce PMU connecté où rien n'a tellement d'importance et où on se fout de tout.

Ça ne va pas voler haut, mais ça me fait du bien.

Commençons par le travail. Histoire d'avoir une expérience de confinement premium, j'ai choisi de changer de travail au moment même où le confinement a démarré. J'ai à peine eu le temps d'être deux jours dans les locaux et d'attraper au vol un accès VPN que j'étais forcé au télétravail. Ce n'est évidemment pas idéal mais dans une optique d'optimisme irrépressible, voyons les bons côtés.

Déjà ça me donne le temps d'apprendre tous les prénoms. À force de réunions d'équipes par vidéoconférences, de messages sur le groupe de discussion, de mails, d'étude minutieuse du trombinoscope, je connais les noms de tout le monde. Et par les mêmes biais, quand tout reviendra à la normale (si tout revient un jour à la normale) (regard vers le lointain) je serai dans l'inconscient collectif pleinement intégré à l'équipe sans trop avoir eu à me forcer. On aura comme fait la guerre ensemble (car nous en sommes en guerre, souvenez-vous en).

Également, quel plaisir de pouvoir se lever sans pression sur les coups de neuf heures en étant certain d'être à l'heure pour le point matinal. De la douche au petit-déjeuner et du petit-déjeuner au bureau il n'y a que quelques mètres qui sont vite franchis. Cependant, la disparition du temps de transport contribue à affermir la frontière déjà mince entre le boulot et la maison. Quitter le travail tient plus de l'état d'esprit que de la réalité tangible car il est aisé de jeter un œil à ses mails à vingt heures ou d'avancer dans la rédaction d'un document quelconque pendant que l'eau des pâtes bout.

Tout n'est évidemment pas rose et la situation a immanquablement ses mauvais côtés. En effet, en cas de doute, je ne peux pas juste passer une tête dans le bureau d'un collègue où le héler depuis mon bureau. Je ne peux pas commencer une question en espérant qu'on la termine à ma place et qu'on réponde précisément à toutes mes interrogations, même celles auxquelles je n'aurais pas songé. Non. Il faut téléphoner ou envoyer un mail. Ce qui entoure toutes les interactions d'un formalisme dément et d'une lourdeur démesurée juste pour demander où sont rangés les fichiers sur le réseau. Et puis le téléphone, quel horreur.

Puisqu'on en est aux moyens de communication, j'ouvre cette section uniquement pour pouvoir proclamer haut et fort ma haine contre la fonction « Transférer » de WhatsApp. Je la déteste. Pourquoi cette résurgence soudaine, pourquoi maintenant ? Pourquoi alors que l'humanité est soumise à un des plus grands défis de ce siècle venir mettre des bâtons dans les roues du vélo de la société ? Pourquoi l'urgence de partager ce millième montage claqué au sol de Macron avec un filtre Instagram ou cette vidéo TikTok que j'ai déjà vu la semaine précédente sur Twitter et la veille sur Facebook ?

Ci-dessous, un spécimen ramassé sur le terrain.

AH ON SE MARRE HEIN ?!

Et si seulement si ce n'était que ça, mais non. Viennent aussi dans le lot les fausses informations, à base de virus qui disparaît si on boit du thé à 26°C et de plan secret que nous cache le gouvernement. Source : « Wallah frère ». Ne souffrons-nous déjà pas assez pour devoir en rajouter à notre malheur ?

Au milieu des années 2000 sont apparus les chaînes de mails et très vite nos ancêtres se sont rendus compte que ça puait la merde, pourquoi répéter leurs erreurs ? L'histoire ne nous a-t-elle donc rien appris ? « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » a dit Churchill, je vous prierai de méditer là-dessus.

Au nombre des phénomènes culturels nouveaux, on a vu apparaître les « Skypéro ». Ç'aura été l'occasion pour moi de relancer Skype pour la première fois depuis fort longtemps. J'y ai vu ressurgir de vieilles conversations, avec des noms de gens dont je n'avais pas entendu parler depuis le lycée. Une époque où Skype n'était pas encore ce truc réservé au monde de l'entreprise mais encore cool et branché.

Mais cette fenêtre virtuelle vers l'extérieur (#métaphore) ne suffit pas à faire oublier la réalité. Contraints de rester chez nous, notre logement prend soudainement une dimension particulière (dimension spirituelle, s'entend). En effet, alors que le champ des possibles n'avait auparavant aucune limite, nous voici contraints de rester (tant que faire se peut) entre quatre murs. Toute notre vie s'y déroule désormais, sans exception. Il nous faut y travailler, certes, mais aussi s'y détendre, y faire du sport (un peu), y manger et y faire à manger.

J'ai par ailleurs la chance d'avoir dans mon appartement un balcon. Alors que je tendais jusque là à l'ignorer plutôt, n'ayant trop à y faire, je le redécouvre allégrement et prend un plaisir certain à y humer dès potron-minet le bon air du matin et à observer tel un vieux aigri si mes voisins respectent bien les consignes.

Sur le sujet de la bouffe, le confinement m'aura forcé à la diversification de mon alimentation. En effet, alors que je comptais jusque là sur la cantine du boulot et quelques restos ou fast food occasionnels pour compenser gustativement les pâtes que je me fais quotidiennement, me voici soudainement responsable de toute la bouffe que j'ingurgite. Aussi ai-je redécouvert la diversité des sauces qui peuvent accompagner un plat de pâtes (on n'oublie pas ses classiques) ou le large panel de boîtes de conserves qui peut exister dans un rayon de supermarché (quand celui-ci n'a pas été la victime innocente de hordes apeurées et affamées).

Le tout a d'ailleurs un impact plutôt positif sur mon budget, ne dépensant quasiment plus rien en loisirs et mangeant à peu près équilibré. Plus de cinéma, plus de sortie en librairie, plus de McDo de seize heures pour le goûter, plus de bière dans des bars le samedi soir, plus de restos. Mes activités de plein air se limite à Monoprix une fois par semaine.

À noter d'ailleurs la sensibilité extrême à la crasse que l'on développe. On ne peut plus jeter un voile de pudeur sur la poussière qui s'est accumulée sur nos étagères ou sur le tas de déchets recyclable qu'on doit descendre dans la poubelle jaune depuis deux mois, ils s'imposent à nous comme des évidences trop souvent ignorées. Faire le ménage devient soudainement une activité digne d'intérêt.

Je remarque également que quand ils ne jouent pas les fées du logis ou ne télé-picolent pas, nombreux sont celles et ceux qui cherchent à tout prix à rendre leur confinement « utile ». Il faut dire que forcés que nous sommes à rester chez nous, on n'a plus aucune excuse pour ne pas enfin prendre le temps de se lancer dans ce grand projet culturel que nous procrastinions sans relâche. On a enfin le temps de lire des livres, d'écrire, de lancer sa chaîne YouTube ou de se mettre au dessin. Mais pourquoi le faire ? Pour nous ou pour les autres ? Pour le plaisir de nous investir dans un projet qui nous tient à cœur ou pour faire la démonstration qu'on n'est pas une feignasse ?

À noter les nombreuses initiatives à l'attention du public. Rien que sur Twitch, on trouve pèle-mêle du jeu de rôle, de la cuisine, des cours de maths, de la musique ou même des gens qui font des mots fléchés. Personnellement je trouve ça fantastique, j'ai jamais autant regardé Twitch qu'en cette période. D'autant plus que c'est un média qui a l'avantage de procurer le plus d'interactions « authentiques », en étant facilité par la magie du direct, ce qui manque justement terriblement en ce moment.

La presse s'est également fait l'écho de « journaux de confinement », où notamment Leïla Slimani dans Le Monde ou Marie Darrieussecq dans Le Point partagent leur quotidien, confinées dans leur maison de campagne, complètement hors sol, à des lieux de ce qu'expérimentent vraiment la plupart des gens. « Par la fenêtre de ma chambre, j’ai regardé l’aube se lever sur les collines. L’herbe verglacée, les tilleuls sur les branches desquels apparaissent les premiers bourgeons. » « Nous partons voir la mer. Elle bat, lourde, forte, indifférente. La plage est déserte. » À quelle niveau de déconnexion faut-il être pour oser écrire ça et espérer parler aux gens ?

Pour ce qui me concerne, j'ai en partie cédé aux sirène du productivisme. Cet article est largement dû à ça, ne nous le cachons pas. C'est ma manière de garder bonne conscience et de me dire qu'au moins j'aurai fait quelque chose. D'où ce journal de confinement, que j'ai voulu plus authentique que les exemples plus haut, écrit depuis mon modeste studio en région parisienne où je suis confiné tout seul, sans plage à proximité ou grand jardin pour que mes enfants inexistants s'égaient.

La plupart du temps je suis allongé comme un sac sur mon lit, à rincer une série que j'ai déjà vu, pendant que je scrolle sans relâche Twitter et Reddit dans l'espoir qu'il se passe un truc fou. Mais rien ne se passe à part le temps. Comme disait Cœur de pirate sur Twitter, « j’ai l’impression que ma journée consiste à manger et puis attendre que ce soit acceptable de remanger ».

Au niveau du moral je tiens le coup. Je résiste assez bien à l'envie d'aller dehors, même si je n'avais pas pour habitude de passer autant de temps chez moi. Il faut dire que quand on habite dans un appartement de taille réduite le réflexe est plutôt de sortir régulièrement pour respirer et s'aérer l'esprit. Je soupçonne quand même qu'à moyen terme je finisse par détester l'endroit et que je sois étreint d'une envie irrépressible de déménager. Je note aussi que j'ai du mal à me concentrer. N'avoir personne à qui raconter des conneries pendant la journée c'est compliqué. C'est aussi pour ça que je viens en débiter ici.

J'aurai peut-être l'occasion d'écrire à nouveau d'ici à la fin du confinement (un jour), en attendant prenez soin de vous et des autres, évitez de sortir, ça devrait s'arranger. Je crois. J'espère.

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