Ne débattons plus avec l'extrême-droite



L'extrême-droite tue. L'extrême droite tue à Utøya, elle tue à Charlottesville, elle tue à Christchurch.

Et pourtant, elle monte. En dépit de ce lourd bilan, on continue de l'inviter dans le débat public. On persiste à inviter ses représentants les plus éminents sur les plateaux de télévision et les studios de radio. On leur tend le micro pour qu'ils répandent leur haine.

En 2002, quand pour la première fois le Front national parvint au second tour de l'élection présidentielle, il n'y eût pas de débat cette année là. Jacques Chirac se justifia en ces termes :
« Face à l'intolérance et à la haine, il n'y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible. […] Pas plus que je n'ai accepté dans le passé d'alliance avec le Front national, et ceci quel qu'en soit le prix politique, […] je n'accepterai demain de débat avec son représentant. »
En 2017, la situation était différente. Entre temps, le Front national s'est normalisé, il s'est « dédiabolisé ». Il est désormais un parti avec lequel on peut parler, discuter, parce que « compatible avec la République ».

Et après tout, quoi de plus normal ? N'est-ce pas ça le jeu démocratique ? Un échange contradictoire entre des opinions qui s'opposent, avec un peuple en arbitre suprême ? Sûrement, oui, si vous êtes en première année de fac de lettres.

Cette approche simpliste de la question veut faire croire que toutes les opinions se valent et peuvent être soumise à discussion. Or, doit-on nécessairement débattre de tout ? Si demain quelqu'un vient clamer que les musulmans sont des êtres inférieurs, doit-on s'engager dans une discussion avec lui pour déterminer objectivement la vérité, test ADN et scanner du cerveau à l'appui ? Non.

Parler avec l'extrême-droite, même pour les contredire, c'est accepter les termes du débat tels qu'elles les a définis. C'est rendre la position acceptable. Cela construit un spectre d'opinions biaisé où votre position et la leur sont les deux extrêmes, et où la position modérée se trouve quelque part entre les deux.

Prenons un exemple tristement d'actualité, le grand remplacement. Il s'agit d'une théorie du complot créé par l'écrivain Renaud Camus affirmant qu'il existerait un processus de « remplacement » de la population européenne par une population non-européenne originaire essentiellement du Maghreb et d'Afrique noire, le tout orchestré par des forces politiques obscures.

Conséquemment à l'attentat, une journaliste d'Europe 1, que l'on ne peut pas a priori soupçonner de racisme, s'est ému sur Twitter qu'on ne puisse débattre sereinement en France du grand remplacement, appelant à des statistiques ethniques pour pouvoir en discuter sur des bases objectives. En faisant cela, elle légitime la discussion de façon autrement plus subtile qu'en criant « dehors les Arabes », mais en demandant des chiffres, en bonne personne modérée qu'elle est.

Et c'est à cause de pareils comportements que Renaud Camus et ses idées racistes sont devenus des sujets de discussions acceptables, alors même que son parti politique consiste essentiellement en trois cons dans une cabine téléphonique.

C'est parce qu'on donne régulièrement tribune à Éric Zemmour pour discuter avec lui que les idées racistes ont pris du champ. C'est parce que Davis Pujadas invite Robert Ménard, proche de Renaud Camus, dans son émission sur LCI juste après l'attentat que s'infuse dans les esprits l'idée que ces théories fascistes font désormais partie du domaine du possible. Le même Robert Ménard qui a procédé à des recensements de musulmans dans les écoles de Béziers sur la base de noms sur des listes.

Demain, Marine Le Pen pourra dire qu'elle est contre la violence, qu'elle ne croit pas en la théorie du grand remplacement. Au fond, on peut se contenter d'expulser les musulmans sans aller leur tirer dessus à la kalachnikov. Voilà une position modérée.

A-t-on vu suite aux attentats de Daesh en France des islamistes sur les plateaux de télévision expliquer calmement que les mécréants sont un vrai problème ? Non, et pourtant c'est ce qui est en train de se passer, tous les jours.

Ne vous méprenez pas pour autant. Il n'est pas interdit de parler d'immigration. Il n'est pas interdit de parler de l'Islam. Mais n'en parlons pas dans les termes choisis par l'extrême-droite. Laissons les chercheurs en sciences sociales s'emparer de ces questions avec la méthodologie qui s'impose, loin des caricatures que dressent les parangons du racisme.

Nos actions ont des conséquences, et en laissant s'exprimer la pensée raciste nous contribuons à la prolifération de cette idéologie mortifère.

Commentaires

Articles les plus consultés