Et si on arrêtait les conneries ?

Il paraît qu'un bon ingénieur se doit d'être un ingénieur international. Étant moi-même un futur ingénieur, c'est sur la base de cette assertion qui doit sûrement receler un fond de vérité que je me retrouve exilé aux Pays-Bas durant cette période estivale. Le pays est charmant, le programme n'est pas trop chargé et un certain nombre de bons amis se trouvent être à proximité. Pour le dire vulgairement, je ne me plains pas.

Delft, ville d'histoire et de sciences (Source : Wikimedia Commons)


J'ai essayé jusque là de préserver une certaine distance avec l'actualité nationale. Pour des raisons hygiéniques déjà. En prévision du chantier que vont être les prochains mois avec l'élection présidentielle approchant (et dans laquelle j'ai prévu de m'investir), une cure ne pouvait pas faire de mal. Un peu à la manière de ces gens qui s'abstiennent de trop manger les veilles de réveillon. Et d'une manière générale, l'été, « l'actualité tourne au ralenti » pour reprendre la formule usuelle.

Ça avait bien commencé. J'ai suivi l'Euro de football avec les petits camarades, j'ai pesté comme tout le monde face à la finale et je suis vite passé à autre chose, la vie suivait son cours.

Puis c'est parti en vrille. 14 juillet, soirée azuréenne, feu d'artifice au bord de la mer, 85 morts. Rebelote, donc, « Tragédie Nationale, épisode III : Le Camion Niçois ».

Bam. Un maigre soulagement au milieu de la douleur, c'est de constater qu'on ne s'y habitue décidément pas. Et puis, alors qu'on est encore à panser nos plaies (bien réelles pour certains), voilà que commence un spectacle peut-être encore plus triste, politique celui-là. Et pas dans son sens le plus noble.

Pour résumer, tout le monde a abrégé ses vacances et a commencé à raconter des conneries.
- On a prorogé l'état d'urgence une quatrième fois (ce qui devrait lui permettre d'atteindre aisément plus d'un an de mise en place).
- Les grands esprits se sont rencontrés et ont tous convenu que si eux avaient eu à s'occuper de ça, ça ne serait certainement pas arrivé, ah non.
- On a pris des accents lyriques à l'Assemblée nationale pour défendre les glorieuses « valeurs de la République », comme s'il s'était agi d'une sorte de divinité aux desseins obscurs.

Bref, tout ceci est grand-guignolesque, et a eu des conséquences tristement attendues sur lesquelles je vais m'attarder. Et je vais pousser un coup de gueule en même temps.

Comme souvent à la suite de faits d'actualité marquants, il est de bon goût de s'agiter. On s'interroge, comment cela a pu arriver (question légitime) et ont fini par s'arrêter sur un « yakafokon » des plus classiques. Tout ceci pourrait rester sympathique, mais interroge grandement sur la maturité de la classe politique quand on arrive à certaines extrémités.

Le terrorisme fait peur, c'est conçu dans ce but, on le retrouve dans le nom. Le citoyen craint donc pour sa sécurité, et il est du devoir de la classe dirigeante d'adopter une attitude adéquate en prenant des décisions qui le sont tout autant. Adéquates.

L'utilisation de l'état d'urgence et de mesures exceptionnelles est compréhensible dans les premiers instants qui suivent une attaque. Il faut agir vite, arrêter des individus dangereux en fuite. On est dans l'urgence. Quand l'« urgence » s'éternise, il y a un problème, les mesures d'exception ne se justifient plus, et on a vu dans le cas de Nice que ce n'est en aucun cas une panacée. On pourra se reporter, à toute fin utile, sur cette vidéo de DataGueule reprenant et détaillant les critiques faites usuellement à l'état d'urgence. Et notamment les dérives qu'il induit.

J'arguerai également que disposer des militaires armés un peu partout n'a qu'un impact minime sur le terrorisme. Le terrorisme est affaire d'anticipation, et face à un forcené muni d'une kalachnikov, d'une ceinture d'explosifs ou d'un camion, il est déjà trop tard. On ne peut pas combattre le terrorisme uniquement en faisant dans le cosmétique.

Enfin, on peut s'interroger quand la classe politique, qu'elle soit dirigeante ou aspirant à le devenir, propose des mesures aux mieux inefficaces, parfois contraires au droit (français et/ou international), au pire irréalistes. Ainsi propose-t-on d'enfermer des gens « de manière préventive » (sur la base de quoi, je vous le demande) ou de placer des militaires avec lance-roquettes aux endroits opportuns.

En les mettant face à leurs contradictions et aux limites légales de leurs propositions, on se voit répondre qu'il faut faire évoluer le droit, que tout doit être fait pour lutter face aux terrorismes, et cetera. C'est notamment le cas de Nicolas Sarkozy, qui n'a pas manqué de s'illustrer une fois de plus. Et il est très inquiétant pour l'avenir de notre démocratie qu'une personne ayant exercé et aspirant à exercer de nouveau au poste de Président de la République (avec des chances non nulles de succès) se permette de relativiser l'importance de l'état de droit.

Ensuite, parce que je sais que l'on va me reprocher d'être complaisant avec le terrorisme, idéologue, voire pire, bien-pensant, permettez-moi de vous dire que ces mesures, si elles peuvent éventuellement être efficaces à très court terme (à supposer que l'on ait les moyens légaux, logistiques et humains de retrouver les 20 000 personnes faisant l'objet d'une fiche S en France et de les enfermer), elles ne peuvent qu'être destructrices sur le long terme, déjà car nous ne pourrons pas garder enfermées ces personnes indéfiniment sans motif, et ensuite parce qu'elles risquent de faire se développer un sentiment de défiance vis-à-vis de la France chez des populations déjà stigmatisées qui ne risque pas de mener à quelque chose de positif.

Cette stigmatisation se fait sous couvert de notre épouvantail national, la laïcité. La laïcité a cette particularité d'être une valeur unanimement partagée sans qu'il n'y ait de réel consensus sur sa définition. Et quand il n'y en a un ça tourne autour de « dehors les Arabes ». Bon, en plus subtil, forcément. Tout le monde, même Marine Le Pen, prend soin de distinguer les « ennemis de la République » de « nos compatriotes musulmans attachés à notre nation et à ses valeurs ».

Mais quand même.

Mais quand même, merci de rester discret, merci de vous désolidariser des terroristes, merci d'être « compatibles avec les valeurs de la France »... Tout ceci bien évidemment pue. Et si seulement j'étais spécialiste du sujet j'irais jusqu'à dire que cela fait partie de la stratégie des terroristes. En stigmatisant ainsi sans trop l'avouer les musulmans, risque d'émerger un sentiment de rejet dans cette population, avec les potentielles conséquences que l'on connait. En persistant à pointer du doigt les musulmans, en les enjoignant à faire des efforts, on sous-entend qu'ils ne sont pas des citoyens normaux, qu'ils ont une particularité que nous sommes déjà bien gentils d'accepter. Et c'est dangereux.

Une des dernières illustrations de ce délire laïc c'est l'affaire du burkini. Le burkini, habile mot-valise entre burqa et bikini, est une sorte de combinaison de baignade permettant aux femmes qui le souhaite de profiter des plaisirs de la plage dans le respect de leur interprétation de l'islam. Pas de quoi fouetter un chat, donc, mais voilà. On craint le trouble à l'ordre public. Ou l'asservissement de la femme. Si le premier point confine au ridicule, le second peut amener un débat (où je m'échinerais à défendre la liberté de chacun à se vêtir comme il le souhaite, dans le respect de la pudeur d'autrui). Mais il me semble que là aussi on se réfugie derrière un épouvantail pour ne pas parler d'Islam.

La situation tourne donc au ridicule, et on se retrouve avec des agents en uniforme pressant les femmes sur les plages de se dévêtir au risque d'encourir une amende. Si j'étais mauvaise langue je dirais que c'est une curieuse façon de défendre les droits de la femme. Ah ben je l'ai dit.

À gauche, individu dangereux s'attaquant aux valeurs de la République ;
à droite, femme courageuse défiant le terrorisme islamiste.
Laissons les musulmans tranquilles ! Acceptons-les enfin comme des citoyens à part entière, cessons de les voir comme des menaces pour notre mode de vie, des membres d'une secte qui ne cesseraient de réclamer des droits particuliers. Et pour finir sur ce chapitre, proposer des plats sans porc dans les cantines scolaires n'est pas une concession faite à la laïcité (laïcité qui s’accommode bien du poisson tous les vendredis), c'est une évolution normale, conséquente à l'évolution de la population (où la proportion de végétariens augmente par ailleurs).

Concluons

Ce que j'ai essayé de vous dire dans cet article complètement décousu, c'est que le terrorisme ne laisse pas seulement des blessures physiques mais aussi des stigmates idéologiques. En provoquant la peur chez une population, il pousse la classe politique à exploiter indûment cette peur, ne créant rien d'autres que des centaines de bombes à retardement, tapies dans l'ombre, sans en désamorcer aucune.

Il est de la responsabilité du citoyen éclairé, toi (é)lecteur, de ne pas tomber dans ce piège.

Finissons enfin sur les quelques mots de Jens Stoltenberg, ancien premier ministre norvégien, à la suite de la tuerie d'Utoya : « Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d'ouverture et de tolérance. » Les contextes norvégiens et français sont largement différents, mais ceci ne nous empêche pas de nous en inspirer.

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