Ceci n'est pas une réforme



C'est toujours la même chose. Au départ, il y a une information. Elle existe, brute, neutre, elle se suffit à elle-même. En général, elle n'a pas de grande implication. Elle est même carrément quelconque la plupart du temps.

Ici, l'information c'est que les manuels scolaires à partir de la rentrée de septembre 2016 prendront comme référence les recommandations faites en 1990 par le Conseil supérieur de la langue française concernant l'orthographe.

De là, le raccourci était tout trouvé : « Le gouvernement annonce une réforme de l'orthographe. »

Cette information a donc suivi le chemin classique, en étant reprise de manière déformée par quelques politiciens véreux en mal de visibilité, des journaux, puis sur les réseaux sociaux où ils ont irrigué les murs du citoyen lambda qui a alors cru bon de s'indigner. Alors qu'il n'y a vraiment pas de quoi.

Éric Ciotti, jamais à l'abri d'une contradiction, omet l'accent sur son prénom malgré les recommandations de l'Académie.

Jean d'Ormesson, que l'on ferait parfois mieux de laisser là où il est.

L'UNI, le syndicat étudiant de droite, toujours premier dans la subtilité et la nuance.

On s'est donc largement soulevé sur les réseaux sociaux et autour des machines à café, pour pas grand chose il faut le dire et surtout pour rien de bien neuf. En effet, les propositions datent de 1990 et le changement est effectif depuis 2008, alors que Xavier Darcos (aujourd'hui académicien) était ministre de l'Éducation nationale et Nicolas Sarkozy président de la République. Pour preuve :

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Extrait de Programmes de l'enseignement du français, paru au Bulletin officiel le 28 août 2008 :
« Pour l’enseignement de la langue française, le professeur tient compte des rectifications de l’orthographe proposées par le Rapport du Conseil supérieur de la langue française. »
Extrait de Horaires et programmes de l'enseignement primaire, paru au Bulletin officiel le 19 juin 2008 :
« L’orthographe révisée est la référence. »

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Face au traitement de cette information, deux choses principalement m'ont énervé : d'abord, le procès injuste qui a été fait au gouvernement alors qu'il n'y ait pour rien et qu'il n'a fait qu'entériner un processus déjà en place ; ensuite, les réactions disproportionnées suite à cette « réforme » (qui n'en est pas une) alors qu'elle est au contraire parfaitement justifiée.

#HollandeDémission

Depuis 2012, ça n'arrête pas. À chaque prise de parole, à chaque micro-polémique, à chaque pet de travers, les apparatchiks de la droite reloue mettent en branle leur réseau pour gueuler après la politique gouvernementale en hurlant que c'est la France qu'on abat et que François Hollande n'est qu'un gros nul et que c'est décidément le pire président du monde.

Alors attention, je vous vois venir. Je ne suis pas socialiste, je ne suis pas un partisan de la politique actuelle (loin de là), ce que je dénonce c'est l'excès. L'excès permanent. Même si François Hollande n'est sûrement pas un modèle et n'est pas exempt de critique, ce n'est pas un traître à la nation. Économiquement, il fait de son mieux, dirons-nous, et cela m'étonnerait fortement que Nicolas Sarkozy eût fait mieux (voire eût fait différemment) s'il l'avait emporté en 2012.

Et si encore les arguments des détracteurs reposaient sur du tangible, du concret, ça pourrait aller. Mais non. La plupart du temps ça ne prend comme appui que des approximations (cf l'affiche de l'UNI plus haut), des mensonges, des manipulations, ou dans le meilleur des cas de l'humour de mauvais goût et des montages Paint de mauvaise facture.

Tiré du site « La Gauche m'a tuer ». Allez y faire un tour, c'est rafraîchissant.
Aucune trace de la « citation » en dehors de cette image reprise régulièrement. Manipulation socialiste ?
J'ai inclus Alain Juppé aussi, c'est sentimental. C'est surtout que ses principaux détracteurs sont les mêmes qu'Hollande. Avec la même subtilité.

Politiquement, on peut clairement situer ce beau monde bien à droite, dans un ensemble informe incluant les sarkozystes, la droite populaire (ou droite « décomplexée », c'est selon), le Front national et quelques résurgences de La Manif Pour Tous. Pas les plus subtils, donc.

Tous ces gens, donc, font partie d'un petit milieu qui s'auto-entretient avec en général assez peu de visibilité en dehors de leur cercle. Là où ça devient gênant, c'est quand leurs conneries débordent et arrivent aux oreilles des citoyens lambda, pas rompus aux réseaux sociaux et faillant à mettre en œuvre leur esprit critique. C'est à ce moment qu'il faut aller batailler au cas par cas pour rétablir les vérités. Et je vous promets, c'est usant.

Ce qui m'agace par ailleurs, c'est l'acharnement qu'il y a autour de la personne de François Hollande. On cherche à l'accuser de tous les maux, de tous les problèmes, de toutes les injustices en France, quand bien même il n'aurait aucune prise dessus. Sa politique économique comme sa politique sociale sont systématiquement conspuées et on lui prête des volontés de mettre la France à terre, de la détruire de l'intérieur. Ce qui est largement exagéré, convenons-en.

Avec cette pseudo-réforme de l'orthographe, on retrouve le schéma habituel : accompagné de Najat Vallaud-Belkacem, c'est la jeunesse française qu'il chercherait à torpiller pour des raisons obscures.

Molière qu'on assassine

Revenons au cœur de la polémique. La « réforme ». Que contient-elle ? Rien de bien transcendant en vérité, et certainement pas la disparition définitive de l'accent circonflexe comme on a voulu le faire croire (je vous ai vus, sur Twitter, avec votre hashtag ridicule).

Pour régler au plus vite la question de l'accent circonflexe : il ne va simplement disparaître que sur les I et les U quand il n'y a pas d’ambiguïté sur le sens du mot, et en dehors des terminaisons du passé simple et du subjonctif. Ainsi, un coût devient un cout et entraîner devient entrainer, mais jeûne et nous suivîmes restent en l'état.

Concernant les mots courants concernés, étudions quelques cas emblématiques, à commencer par oignon, qui deviendra ognon. Cette mutation, qui peut faire mal aux yeux à première vue, se justifie complètement. Le graphème -ign- était utilisé jusqu'au XVIème siècle pour faire le son \ɲ\ (comme dans bagne, vigne...). Ainsi en ce temps-là pouvait-on lire besoigne, roigner, soigner. De là, deux tendances sont apparus : soit ces mots ont perdu leur I, donnant par exemple besogne et rogner, soit leur prononciation a évolué, comme soigner que l'on ne prononce plus « sogner ». Demeurait donc oignon, fils oublié d'une époque, bâtard à qui l'on a voulu redonner une légitimité.

Autre source de cristallisation : le nénuphar qui évoluera en nénufar. Là aussi, ça fait moche de prime abord, et là aussi cela peut se justifier. Le mot vient de l'arabe ou du persan nīnūfar ou nīlūfar. La transcription de l'arabe se fait « naturellement » avec un F. Le plus amusant dans tout ça, c'est que jusqu'en 1935 nénuphar s'écrivait déjà nénufar. C'est l'Académie française qui avait proposé à l'époque de transformer le F en PH. Ils reviennent aujourd'hui sur leur décision, préférant réserver le PH pour transcrire le PHI grec.

Je pourrais continuer à justifier chacune des modifications proposées mais je vais m'arrêter là. Vous avez saisi l'idée. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez aller vous plonger dans le texte original de 1990.

Ce que je voudrais surtout dire à ce sujet c'est qu'il ne s'agit pas tant de simplifier l'orthographe que de le rendre cohérent. Comme montré au-dessus, il y a dans la langue française des illogismes, des anachronismes, des archaïsmes. Et tenter d'y mettre fin n'est certainement pas quelque chose de répréhensible.

Il ne faut pas voir l'orthographe comme une chose sacrée qu'il serait interdit de faire évoluer. La langue française a considérablement changé depuis la signature de l'ordonnance de Villers-Cotteret, depuis François Rabelais, ou même depuis un siècle. Et tous ces changements ont un jour été le fait d'hommes, de décisions arbitraires ou d'évolutions pratiques. Une langue n'évolue pas seule, et il est absurde d'accuser le gouvernement de vouloir aller au-delà de l'ordre naturelle des choses puisque la nature n'y est pour rien dans cette histoire (pas plus que le gouvernement, d'ailleurs, ai-je besoin de le répéter ?).

Enfin, je le rappelle, il ne s'agit que de recommandations. Vous avez toujours le droit d'utiliser l'ancienne orthographe, elle est toujours acceptée. Simplement, elle ne sera plus enseignée et nos enfants apprendront la nouvelle version.

Je ne vous le cache pas, moi aussi je suis nostalgique quand je vois la règle que l'on m'a apprise à l'école concernant la position des tirets dans l'écriture des nombres en lettre, et je continuerai de l'appliquer (tiret uniquement entre les mots représentant des nombres inférieurs strictement à cent). Même cet article entier a été écrit en privilégiant l'orthographe « traditionnelle ». Cependant, ceci ne m'empêche pas d'accepter le cours des choses. En effet, il ne faut pas rester figer dans ses certitudes et surtout, relativiser. Il y a des choses mille fois plus importantes que l'orthographe d'oignon.


Sources

- Michel Francard. Êtes-vous « oignon » ou « ognon » ?, Le Soir. 13 février 2016.
- Pauline Moullot. Réforme de l'othographe : les contrevérités continuent, Libération. 8 février 2016.
Réforme de l'orthographeGouvernement.fr. 5 février 2016.
- Conseil supérieur de la langue française. Les rectifications de l'orthographe, Journal officiel de la République française. 6 décembre 1990.
- Les règles de la nouvelle orthographe... en bref, orthographe-recommandee.info.

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